[Les Cendres Froides du Garçon Voie-Lactée]
Les amours perdues ont la saveur de cendres froides.
À force de repenser au garçon aux mille étoiles, petit bout d’Univers qui se balade en traînant sa peine comme un fardeau honteux, je me suis dit qu’il était peut-être temps de faire un point.
Peut-être ai-je oublié, avec le temps et les nouvelles amours, la difficulté qu’il y avait à se relever après une déception. Peut-être que je ne comprends pas comment on peut user à ce point ses souvenirs en espérant qu’ils redeviennent une réalité étiolée par le temps.
Peut-être que je suis plus forte que ça et que je ne pourrai jamais comprendre la douleur qui ronge une âme, quand il s’agit d’amour.
Seulement…
Même quand il pense lever le voile qui lui masque la vue, le temps de contempler la triste horreur de son quotidien, même là, il ne dit pas toute la vérité. En a-t-il seulement conscience ?
Si j’osais… Si j’osais, je lui dirais : « Non, tu ne cherches pas à l’oublier en te jetant à corps perdu dans une nouvelle relation. Tu cherches à la retrouver. »
Et ça ne fonctionne pas.
Des « comme elle », il n’y en avait qu’un seul exemplaire, c’est justement pour ça qu’elle avait su faire la différence et qu’elle avait pu faire étinceler son cœur des étoiles qui lui coulent maintenant sur les joues. Seulement, cette Elle est partie, sans espoir de retour.
À présent, il a le cœur de guingois et puis il y a moi, qui ne sais pas quoi dire, parce que tous les mots du monde sont bien peu de choses face à une peine au goût de cendres froides.
Alors, je souris à demi et je reporte sans cesse le moment où il faudra qu’il ouvre les yeux, de préférence avant d’avoir commis d’irréparables dommages et avant qu’il ne prenne la place que son ex a refusée, celle de petite salope.
Et puis qui suis-je, moi, petite moi, pour aller lui balancer ce qu’il refuse de savoir ? Et pourtant dieu sait que ma voix aimerait se revêtir de fiel et s’alourdir de cendres pour lui murmurer à l’oreille :
« Elle est partie. Arrête de La chercher dans toutes les courbes que tu rencontres. Aucune ne pourra La remplacer et aucune ne veut devenir Elle.
« Elle était la seule à pouvoir combler les attentes que tu avais pour Elle. Ne les reporte pas sur une autre. Elle ne mérite pas ça. Aucune femme ne mérite de voir, tapie au fond du regard de l’homme qui la contemple, la silhouette mille fois fantasmée d’une ex mal oubliée.
« Arrête de chercher à rencontrer une autre femme, comme pour fuir le regard qu’Elle pose sur un autre. Elle est partie. Cesse ta course vers un avant aux allures de gouffre, et regarde Sa silhouette s’en aller. Ça fera mal les premiers temps, et t’auras envie de crever plutôt que laisser tes yeux souillés de larmes admirer le spectacle vomitif d’un amour qui n’est pas le tien. Mais j’te jure qu’à force, tu en souriras. Et tu seras sincère quand tu diras « Elle est mieux avec lui », parce que tu auras tourné la page.
« Là, t’es pas sincère. Tu singes juste les mots que tu penses qu’on veut entendre.Et c’est triste à en rire de te voir mentir, comme si on te croyait, et de nous voir hocher la tête pour ne surtout pas te contrarier.
« Mais putain, tu la mérites, ta guérison. Va la chercher. Il est temps. Pleure une bonne fois pour toutes, cesse d’étouffer tes larmes dans les bras de ta solitude. T’as des amis qui donneraient n’importe quoi pour bercer tes oreilles de banalités qui font au chaud au cœur quand on se sent mal. Ils te les diront,ces banalités, que tu te relèveras sans problème, une de perdue dix de retrouvées et de toute façon elle te méritait pas et elle avait un gros cul,quand même, sur la fin et ils avaient toujours senti que vous finiriez pas vos vies ensemble.
« Et si tu le veux, moi, je te dirai la vérité. Je te dirai que c’est pas vrai que t’es mieux sans elle, mais que, bon, elle ne reviendra pas, mouche-toi, s’il te plaît, tu en fous partout. Moi, je te tapoterai le dos en disant là, là,pleure, vas-y, faut que ça sorte, y a qu’en le pleurant qu’on fait sortir l’amour, c’est le seul antipoison valable.
« Et moi, je voudrai t’entendre me parler d’elle, pour que tu uses tes souvenirs et qu’ils ne reviennent plus te tenir éveillé, te forcer à ne sombrer dans le sommeil qu’avec l’épuisement ou l’alcool.
« Et puis, je t’apprendrai à tout dire à tes feuilles, sans jamais rien révéler, pour faire de toi le phénix d’encre qui jaillit de ses cendres froides. »
Mais ces mots, je ne les dirai jamais au garçon Voie-Lactée.
[Alors je le regarde charrier ses cendres froides, espérant qu’elles ne fassent suffoquer personne.]